La présence d’Eliette sur place nous a permis de sortir quelques jours hors des circuits touristiques habituels du Népal (les temples de la vallée de Katmandhu, les treks au départ de Pokhara…)
J’ai ressenti lors cette incursion la sensation étrange d’avoir acquis subitement le don de voyager dans le temps. Nous nous somme retrouvés plongés dans la société rurale d’il y a une centaine d’années en Europe. Ici, les chars à bœufs (pardon à buffles) n’existent pas uniquement pour accueillir les touristes que nous étions mais restent un outil de travail quotidien. La cellule familiale élargie vivant sous un même toit chez les Tharu me renvoyait aux premières images du film « 1900 » de Bertolucci- revu le mois dernier lors du Festival Lumière - lequel a été tourné en Emilie (Italie du Nord). Les scènes de moisson sont identiques à ce que nous avons vu pendant dix jours, et dans les deux cas se déroulent dans des zones fortes productrices de riz.
Nous avons traversé de plates vallées dans la région de Bardia ou bien des montagnes escarpées entre Tansen et Pohkara, mais partout on s’activait à couper le riz à la main, à monter des meules, à préparer les aires de séchage des grains. Une majorité des ouvriers m’a semblé être des ouvrières…
Longues journées synchronisées avec le lever du soleil, rythme lent (selon nos critères d’hommes pressés du XXIè) mais en fait soutenu dans la durée, entraide et troc au sein du village , enfants faisant des kilomètres à pied pour aller à l’école, chant collectif et tradition orale, je m’imaginais fort bien la vie de nos arrières grands-parents, pas très différente de celle que nous avons côtoyée durant cette traversée faite au rythme des bus locaux.
Les bourgades sont des lieux d’échange, de commerce, d’artisanat, d’administration où convergent les ruraux des alentours. On vit au maximum en autarcie. On revient au village pour les fêtes traditionnelles, quand on a du « s’exiler » pour trouver du travail dans une grande ville ou suivre des études plus poussées pour les plus chanceux.
En revanche, la comparaison s’arrête avec le fait qu’un certain nombre de népalais utilisent des téléphones portables, regardent la télé, et à leur tour, font un saut temporel inverse du notre. Grâce à ces outils technologiques, sorte de pont reliant des sociétés décalées dans leur développement, certains ont un accès direct aux derniers gadgets de notre société occidentale. Un seul exemple parmi d‘autres, le garçon d’une dizaine d’années, fils du collègue d‘Eliette, discutant avec Rémi des derniers jeux vidéos disponibles sur internet...
Nos deux sociétés sont capables de se côtoyer parce que l’avion nous a amené ici en moins de temps qu’il faut pour traverser en bus le Népal dans sa longueur ! Le bus est le seul moyen de transport collectif dans ce pays sans infrastructures ferroviaires ou routières. La vitesse moyenne dépasse à peine celle de la diligence, et le luxe est de posséder une petite moto. La voiture, fortement taxée à l’importation n’est visible que dans les centres urbains. L’état des routes est à mes yeux l’un des obstacles majeurs dans ce pays au relief tourmenté pour sortir de l’ornière du sous-développement.
Une autre similitude qui m’a interpellée est la pratique assidue d’une religion très ritualisée et quotidienne. L’hindouisme nous a paru excessif dans le domaine, mais à bien y regarder la religiosité rémanente de certains pays catholiques de Europe du sud n’est-elle pas une survivance de pratiques plus généralisées en Europe il n’y a pas si longtemps ? Y-a-t-il une si grande différence entre les bougies devant les ex-voto d’une église napolitaine et les bougies déposées devant la déesse Shiva ou l’une de ses réincarnations? On n’efface pas deux mille ans de pratique religieuse si facilement. Une ferveur certaine, mélangée de fatalisme, guide ici les croyants et les inscrits dans le paysage social et leur fournit un cadre rassurant et protecteur. Les pratiques religieuses se mélangent et cohabitent ensemble, dans une surprenante tolérance, contraire à l’image que nous en avions au travers la partition de l’Inde et du Pakistan.
Les népalais - dénomination restrictive car la population comporte différentes ethnies encore bien marquées et seulement mélangées à la marge- nous sont apparus flegmatiques, contents de vivre et souriants. Nous avons vu peu d’enfants pleurer. Je n’ai pas entendu une seule personne se plaindre devant nous du mauvais temps, du niveau des salaires, de la mondialisation, des banquiers pourris, des trains- pardon des bus- qui ne sont pas à l’heure et que sais-je encore… Ils ont le temps devant eux, voire l’éternité.
Ne soyons pas naïfs, tout n’est pas rose, après qu’une monarchie ait refermé le pays sur lui-même pendant un siècle, la guérilla maoïste a récemment empoisonné la vie du pays pendant dix ans. Cette dernière reflétait maladroitement une réelle défiance envers les politiciens du pouvoir central, de leurs petits arrangements entre amis et un ras le bol de la corruption latente. Tiens, tiens, une autre ressemblance avec ce qui se passe actuellement « chez nous »?
La pratique des langues étrangères serait en revanche à classer dans la colonne des différences. Jamais colonisé, mais proche de l’Inde, l’anglais est appris dès la maternelle dans toutes les écoles privées, et en primaire dans le public. Les enfants que nous avons rencontrés possédaient un niveau à l’oral supérieur à celui que nous avons en France… No comment.
Katmandhu reste un nom qui fait rêver, le Népal possède des paysages montagneux de rêve, maintenant en fait, je vais rêver de la gentillesse des népalais rencontrés cet automne.
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